jeudi 16 octobre 2014

Voyages sur les traces de Tezer Özlü

C'est un livre très étrange et je suis partie sur ses traces.


Un livre tragique.

Un livre à propos de littérature, qui se présente comme un roman, roman qui prend la forme d'un journal de voyage : une femme y décrit le voyage qu'elle a accompli en quelques semaines à travers l'Europe en 1982. La première partie s'intitule Sur les traces d'un suicide, "Variations sur Cesare Pavese". Elle occupe la plus grande part du livre. La seconde partie, La vie hors du temps, est un court scénario tiré un an plus tard de la première partie — on suit donc deux fois le même voyage sans que ce soit vraiment deux fois le même.



























Elle dit les lieux qu'elle traverse sans vraiment les décrire, un parking, une aire d'autoroute, quelques chambres d'hôtel, un compartiment-couchettes, l'appartement de la fille d'Italo Svevo à Trieste, la chambre 105 de l'Albergo Roma à Turin où Pavese s'est suicidé, deux ou trois cimetières.


Elle parle d'elle, elle parle de tous les hommes avec qui elle couche, en chemin, de ceux qui la suivent et de ceux qu'elle viole, elle parle aussi des hommes qui essaient de l'avoir, dans le train, dans la rue. C'est un livre impudique. Difficile à lire, La Vie hors du temps et son sous-titre, Voyage sur les traces de Kafka, Svevo et Pavese. Un livre douloureux pour celle qui l'a écrit, pour celle qui le lit.


Elle parle de la Turquie, son pays natal, mais elle écrit en allemand. Partout, elle pense au Bosphore et se souvient des pentes de la rive asiatique d'Istanbul. Elle a envoyé sa fille à Stockholm. Elle voyage entre Berlin, Prague, Vienne, Zagreb, Belgrade, Niš, Trieste, Turin, Santo Stefano Balbo.
En route, elle croise des Allemands de l'Ouest et des Allemands de l'Est, des Autrichiens, des Tchèques, un Grec, des Yougoslaves, des Italiens.
Elle vit à Berlin.


Elle cite Pavese, page après page. Elle est parfois joyeuse, souvent crue, égarée.


Elle parle de ses internements psychiatriques, elle parle de son frère emprisonné en Turquie dans les années 1970, elle parle d'électrochocs, elle parle de suicide. Elle ne s'intéresse pas à la coupe du monde de football — c'est la finale, Allemagne - Italie.


Deux ans après ce voyage, Tezer Özlü tombe malade. Au début, elle refuse de se soigner, ensuite il est trop tard, elle meurt en 1986 à 44 ans.


Tezer Özlü, La vie hors du temps, Bleu autour, 2014.
Toutes les images sont tirées du livre de Frédéric Pajak, L'immense solitude (Les éditions noir sur blanc, Lausanne, 1999).

Mouvements

Nicolas de Staël, Les Footballeurs, 1952 (Museum of Contemporary Art, Los Angeles)
Course, arrêts, cris.
Des corps en mouvement sur le parquet gris.
La pluie au dehors, lumière d'automne, le col qu'on remonte.

Des corps qui tombent, s'allongent, roulent.
Un ballon.

Course, arrêts, cris, appels.
Poursuites.
Des lignes sur le parquet gris, droites, cercles, noir, jaune, rouge.
Repos.

Les cheveux comme des crinières.
Les bras comme des ailes.
Les yeux vifs.
Le souffle.
Le cœur qui bat.

Leurs rires au-dessous de moi.