lundi 17 février 2014

Orphée. Eurydice. Hermès



Nicolas Poussin, paysage avec Orphée et Eurydice, vers 1641-1642 (124 x 200 cm), musée du Louvre.
Ce tableau préféré, ce tableau auquel je rends visite au Louvre avant tous les autres, tableau devenu familier à force de fréquentation, à force d’admiration, c'est aussi Le paysage avec Orphée et Eurydice de Poussin. Ou plutôt, encore une fois, c'était. Non que je me sois lassée ni prise d’affection pour un autre mais cette fois-ci, sans doute aucun, je sais que le Louvre a choisi de l'exposer à Lens, pour le plus grand bonheur des Lensois j'imagine. Pour moi, c'est d'abord un vide sur le mur.
Poussin a construit Le paysage avec Orphée et Eurydice en plusieurs tableaux juxtaposés sur la toile, une toile qu'on peut trancher verticalement, en deux parties égales séparées par l'effroi d'Eurydice mordue par le serpent. On peut aussi le partager en diagonale entre un tableau obscur et gris et un autre lumineux et coloré. Entre un espace inscrit dans la mort et un autre qui chante encore la vie sans savoir la fin est là, espace instable puisque pris sous la pente de la diagonale de l'orage qui s'amoncelle en haut à droite et de l'ombre qui avance vers Eurydice, en bas à droite. Au centre, une bande horizontale étroite qu'on retrouve dans différents tableaux de Poussin, montre des nageurs et leur reflet dans l'eau plombée du fleuve.
Nicolas Poussin, Paysage avec Pyrame et Thisbé, 1651, Francfort, Städel Museum.

Nicolas Poussin, L'Orage, 1651, musée des Beaux-Arts de Rouen.
Nicolas Poussin, Le temps calme, pendant du précédent, 1651,  coll. part.


Ce n'est pas une construction inattendue dans un tableau de Poussin que cette diagonale opposant un espace calme à un autre soumis à l'orage.


A droite, Eurydice est encore liée au groupe des vivants
mais tous lui tournent le dos, sauf Orphée
qui chante en regardant le ciel. Un personnage étrangement
indifférent à Eurydice qui pourtant va le toucher reste les yeux sur Orphée.

L'ombre s'avance en diagonale et s'approche d'Eurydice.
A l'arrière-plan, le château Saint-Ange, tombeau d'Hadrien, est en feu.





Orphée.  Eurydice.  Hermès

C’étaient les mines enchantées des âmes.
Tels des minerais d’argent silencieux elles allaient
en filons à travers les ténèbres.
Le sang qui s’écoule vers les hommes jaillissait parmi les racines
il semblait dans l’obscurité lourd comme du porphyre.
Hors lui rien n’était rouge.

Il y avait là des rochers
et des forêts inhabitées. Ponts au-dessus du vide
et ce grand lac aveugle et gris,
suspendu au-dessus de ses fonds lointains
tel un ciel de pluie sur un paysage.
Entre les douces prairies pleines de patience,
on percevait la bande pâle de la route unique
comme une grande lessive qu'on eût mise à sécher.

Ce fut par ce chemin qu’ils arrivèrent.
En tête l’homme élancé dans le manteau bleu,
muet, précédé de son impatient regard.
Sans le mâcher, son pas dévorait à bouchées énormes
le chemin ; ses mains pendaient
lourdes et fermées entre les plis tombants
et n’avaient plus conscience de la lyre légère
qui était dans sa main gauche enracinée
comme une rose grimpante dans une branche d’olivier.
Ses sens étaient comme dédoublés :
son regard courait au-devant comme un chien,
et revenait, pour sans cesse à nouveau
se poster en attente très loin au tournant prochain, —
et son ouïe s’attardait comme une odeur.
Parfois il lui semblait que derrière lui
elle rejoignait les deux autres marcheurs
qui devaient le suivre tout au long de cette montée.

De nouveau ce n’était que l’écho de ses pas
et le vent de son manteau qui le suivait.
Mais il se dit qu’ils allaient venir tout de même ;
il se le dit tout haut écoutant son écho.
Ils venaient sans doute, mais tous deux marchaient
avec une terrifiante douceur. S’il eût été permis
qu'il se retournât (si ce regard en arrière
n’eût signifié la ruine de toute l'œuvre déjà accomplie)
il eût pu les voir,
les deux taciturnes qui suivaient en silence ;

Le dieu de la marche et du message lointain,
le casque du voyage surmontant la clarté des yeux,
portant au-devant de son corps le fin caducée
et battant des ailes aux chevilles ;
confiante, à sa gauche : elle.

Celle qui fut tant aimée, qu’une lyre pour elle
fit entendre plus de plaintes que toutes les pleureuses,
au point qu’un monde de plainte naquit,
un monde où tout fut recréé : vallées et forêts,
chemins et villages, champs et bêtes et fleuves ;
et qu’autour de ce monde de plaintes
comme autour de l’autre Terre, un soleil
et un  ciel constellé silencieux tournaient,
un ciel de plaintes aux étoiles effarées — :
celle qui fut tant aimée.

Et elle, elle marchait au bras de ce dieu,
son pas entravé par les longs bandeaux des morts,
incertaine, douce, sans impatience.
Plongée en elle-même comme un très haut espoir,
elle ne pensait point à l’homme qui marchait devant elle,
et non plus au chemin qui montait vers la vie.
Elle était en elle-même. Et sa mort
la remplissait comme une abondance.
Comme un fruit de douceur et de ténèbres,
elle était pleine de sa mort énorme
et neuve et ne comprenait rien.
Le pêcheur, Eurydice, Orphée et cet auditeur si étrangement indifférent à ce qui se déroule dans son dos se dessinent tous devant la nappe d'eau. Dominant tous les autres, drapé dans son manteau, il reste en attente devant Orphée qui, inconscient, poursuit son chant. Hermès. Derrière, les silhouettes nues de nageurs, ou des haleurs qui trainent une lourde barque chargée de passants.
Juste au-dessus du poète, au-dessus de son manteau suspendu négligemment, le ciel s'obscurcit.


Elle était dans une virginité nouvelle
et intouchable ; son sexe était clos
comme une jeune fleur au soir,
et ses mains tant déshabituées à s'unir à d'autres
que le toucher même infiniment doux
du plus léger des dieux qui la conduisait
lui pesait comme un geste trop familier.

Elle n’était plus cette jeune femme blonde
entrée jadis dans les chants du poète,
non plus le parfum du lit large ni son île
ni la possession de cet homme.

Elle était dissoute déjà comme une longue chevelure,
donnée comme une pluie déjà tombée
et distribuée comme des réserves abondantes.

Déjà elle était racine.

Lorsque soudain
le dieu la retint et douloureusement
prononça les paroles : Il s’est retourné —,
elle ne comprit pas et dit tout bas : Qui ?

Au loin cependant, sombre dans l’issue claire
se tenait quelqu’un dont le visage
restait obscur. Il se tenait là debout et regardait
comment sur la bande étroite d’un sentier de prairie
le dieu du message le regard douloureux,
se retournait en silence pour suivre
celle qui déjà reprenait le chemin,
entravée par les longues bandelettes des morts,
douce patiente et incertaine.



Rainer-Maria Rilke, Nouveaux poèmes, 1907.
(traduction de Lorand Gaspar)









Entre les espaces terrestres et le monde céleste, entre le monde des mortels et celui du destin, il y a dans Le paysage avec Orphée et Eurydice un fleuve, comme on trouve un fleuve dans Le paysage avec les funérailles de Phocion ou dans le paysage avec Pyrame et Thisbé : trois tableaux où la mort figure au premier plan. On le trouve encore dans la partie gauche d'une Sainte famille, juste derrière un groupe d'anges ou d'amours (une fois isolés du reste de la scène, ils sont peu discernables). A chaque fois, cette tache d'eau miroitante est au centre du tableau, excepté dans notre Orphée et Eurydice — mais on sait que le tableau a été recoupé et qu'à l'origine il était plus haut de 25 cm environ. 
Eaux claires parfois, eaux sombres ici, qui servent au passage vers l'autre monde.
Le seul à regarder vers Eurydice, sans pourtant jeter sa canne ni se lever, est le pêcheur.
Dans l'herbe, on devine le serpent qui s'éloigne.

Ces haleurs si courbés sous le poids de ce qu'ils tirent, les passagers de la barque, ou ci-dessous les nageurs, se reflètent dans des eaux rendues presque noires par l'enténèbrement des cieux. Ce sont les eaux qu'Eurydice va devoir emprunter, celles qu'Orphée à son tour suivra pour la tirer des Enfers — la forteresse saisie en pleine lumière avant l'orage, frémissante du mouvement de la fumée juste au-dessus du groupe d'hommes ployés. Styx.

dimanche 9 février 2014

Un tableau, effroi


Je le vois encore sur le mur gris.


J’aime à avoir, quand je vais au Louvre, un tableau préféré auquel je rends visite avant tous les autres, un tableau devenu familier à force de fréquentation, à force d’admiration, un tableau fait mien.
D’année en année, ce tableau préféré a pu changer. Parfois je me suis lassée, ou je me suis prise d’affection pour un autre à force de passer devant. Parfois aussi le Louvre me joue un tour et décroche des cimaises le petit cadre de mes affections et le fait disparaître — dans ses réserves sans doute, ou à Lens, qui sait ?

Il y a dix ou douze ans, mon tableau préféré était cette Cour de ferme avec mendiants de Cornelis van Dalem, suspendu à gauche de la large ouverture entre les salles 9 et 11 je crois, l’une de ces salles des Pays-Bas au xvie siècle où sont exposés Metsys et Patinir. C’était un petit tableau (38 x 52 cm) qu’on date aux environs de 1560. Du peintre,  originaire d’Anvers, on ne sait avec certitude ni la date de son décès, en 1573 ou 1576 — ni celle de sa naissance vers 1530, peut-être 1535. Il n’aurait peint peut-être que comme passe-temps, pour se changer les idées de ses activités de marchand. S’il a quitté Anvers pour les Pays-Bas après 1565, ce serait pour des raisons religieuses : anabaptiste, il  a subi les persécutions espagnoles qui précèdent la Guerre de Quatre-vingts ans — mais à Bréda dans les Provinces du nord, il aurait été accusé d’hérésie et emprisonné.

On connaît de lui quatre autres tableaux : le Paysage avec une métairie conservé à la Alte Pinakothek de Munich ; un Paysage avec des bergers au musée du Prado à Madrid et deux œuvres au musée Boijmans Van Beuningen de Rotterdam, un Paysage avec Adam et Eve et  Paysage à l'aube de la civilisation un ensemble qui s’inscrit dans la lignée des paysages de Pieter Bruegel l’Ancien.

Mais pour moi, c’est la présence de l’effroi dans le tableau qui m’importe — quelque chose qui n’apparaît pas, ou pas à ce point, chez Bruegel. Tout d’abord, la construction même de la Cour de ferme avec mendiants est sidérante : le tableau est tranché dans sa largeur en trois bandes symétriques dont deux d’une obscurité totale d'où le peintre regarde — un peintre qui se cache au fond de la grange, au plus profond des ténèbres, derrière les mendiants. L’un d’eux.

En haut, la tranche noire d’un toit percé, prêt à s’effondrer.

Au centre, une cour vide. Le tableau est décentré : ce qui compte se déroule sur la gauche, à l’extrême droite, un pilier de la charpente ménage une infime bande d’espace comme si même ce qui devrait être ouverture, liberté, accès à la grand-route, au vagabondage, était clos sous cette grange.


En bas, presque indistincts dans la pénombre, les mendiants, tendus vers la scène qui se déroule à gauche. Un homme, l’un d’entre eux peut-être, est allé mendier à la ferme mais son étrange sursaut devant la porte entrebâillée révèle autant les genoux ployés pour la supplication que le coup reçu, l’embuscade.

Celui, celle qui se cache derrière la porte, a aussi peur que celui qui demande, la cour est vide : pas un homme, pas une bête, pas un brin de paille, du fumier oui. Un ciel blanc prêt à tomber par l’ouverture du toit.

L’un des mendiants qui nous regarde dans l’obscurité.
Un temps de guerre peut-être.

Là aussi.
Paysage avec une Métairie, 1564 (huile sur panneau de chêne, 103 × 127,5 cm), Alte Pinakothek, Munich.

Des ruines encore dans le Paysage avec une métairie de la Alte Pinakothek. Les vestiges de fortifications au fond, à moins que ce ne soient les ruines d'une église. La métairie, les cloisons de torchis, les grands murs derrière, le crépi orange, le chaume des toits, s’effondrent ou s'effritent sous l’effet des éléments, des plantes croissent sur les murs. Les arbres eux-mêmes perdent leurs feuilles. Des oiseaux tout de même et encore une fois ce ciel blanc marbré de nuages gris. Trois personnages égarés dans cet espace. Un enfant aussi, accroché aux jupes de sa mère. Arrêtés dans leur travail, surpris par un bruit, ils se tournent dans la direction des ruines. 
On pressent l'orage qui vient. 
Comme on le voit encore, cet orage, dans le Paysage à l'aube de la civilisation : un espace oppressant et déjà ruiné, aux passages et abris piégé, prêt à s'effondrer encore une fois, et dans lequel errent des personnages vêtus de peaux de bêtes, à la tête de maigres troupeaux. Rien de l'Âge d'or du monde ici, pas plus que dans les deux derniers paysages, tout au plus l'Âge d'argent, la fin du bonheur, le travail de la terre, l'alternance des saisons : un ciel lourd et des arbres dégarnis.
Paysage à l'aube de la civilisation, vers 1565 (huile sur panneau de bois, 88 × 165 cm), Musée Boijmans Van Beuningen, Rotterdam.

Paysage avec Adam et Ève, vers 1560-1570 (51.5 × 69,5 cm), Musée Boijmans Van Beuningen, Rotterdam.

Paysage avec des bergers, vers 1550-60 (47 × 68 cm), Musée du Prado, Madrid.


Vers Byzance





O sages standing in God’s holy fire

As in the gold mosaic of a wall,

Come from the holy fire, perne in a gyre,

And be the singing-masters of my soul.

Consume my heart away; sick with desire

And fastened to a dying animal

It knows not what it is; and gather me

Into the artifice of eternity.

.

Once out of nature I shall never take

My bodily form from any natural thing,

But such a form as Grecian goldsmiths make

Of hammered gold and gold enamelling

To keep a drowsy Emperor awake;

Or set upon a golden bough to sing

To lords and ladies of Byzantium

Of what is past, or passing, or to come.

W.B. Yeats, from Sailing to Byzantium,  
September 1927.




Ô  sages debout dans le feu sacré de Dieu

Comme dans l’or de la mosaïque d'un mur,

Quittez ce feu sacré, tournoyez sur la spire,

Et soyez les maîtres à chanter de mon âme.

Brûlez mon cœur en cendres ; malade de désir,

Et enchaîné à ce pauvre animal qui se meurt,

Il ne sait plus qui il est ; que mon être entier

Soit absorbé dans l’artifice de l’éternité.

.

Une fois délivré de nature, jamais

Mon corps ne renaîtra des formes de nature

Mais je prendrai des formes que les orfèvres grecs

Créent en or martelé ou en or émaillé

Pour tenir en éveil un Empereur qui s'endort ;

Ou qu’ils posent sur un rameau d’or pour chanter

Aux seigneurs et aux dames de Byzance

Les choses qui sont passées qui passent ou vont venir.

.
W.B. Yeats, extrait de Voile vers Byzance,  
Septembre 1927, 

traduction de J. Briat, 1998.



Ces mosaïques proviennent de deux églises d'Istanbul, la seconde plus à l'abandon que la première : Saint-Sauveur-in-Chora, en turc Kariye Kilisesi ou Kariye Camii (convertie en mosquée puis transformée en musée en 1848) et les deux églises jointes de la Panaya Pammakaristos et de la Theotokos Pammakaristos, connue aujourd'hui comme Fethiye Cami (également convertie en mosquée au xvie siècle, devenue un musée dans les années 1930). Toutes deux se situent à l'ouest de la ville vers les murailles ou dans le quartier du Phanar. Outre qu'avec celles de la galerie supérieure de Sainte-Sophie, ce sont les parmi plus belles qui subsistent de l'empire byzantin — les plus belles à Istanbul —, leur programme iconographique représente la somme de ce qui sera représenté dans le monde orthodoxe sous une autre forme, celle des icônes sur bois — icônes grecques, icônes russes, icônes bulgares et serbes : nativité et dormition, mère de Dieu — Theotokos —, prophètes, saints et archanges, anastasis, Christ en majesté.











vendredi 7 février 2014

Pour conjurer la fièvre


Nuit de février, tempête derrière ma fenêtre,
le vent qui siffle et la fièvre qui me fait battre les tempes.
Les draps qui m'étouffent, le bruit de la pluie sur la vitre,
et moi, je me vois marcher dans Sainte Sophie éteinte,
toute seule sous les voûtes obscures, autour de moi, des voix
qui murmurent dans une langue que je ne sais pas.




Айя-София — здесь остановиться
Судил Господь народам и царям!
Ведь купол твой, по слову очевидца,
Как на цепи, подвешен к небесам.

И всем векам — пример Юстиниана,
Когда похитить для чужих богов
Позволила Эфесская Диана
Сто семь зеленых мраморных столбов.

Но что же думал твой строитель щедрый,
Когда, душой и помыслом высок,
Расположил апсиды и экседры,
Им указав на запад и восток?

Прекрасен храм, купающийся в мире,
И сорок окон — света торжество;
На парусах, под куполом, четыре
Архангела прекраснее всего.

И мудрое сферическое зданье
Народы и века переживет,
И серафимов гулкое рыданье
Не покоробит темных позолот.

1912 
 Осип Мандельштам, Tristia



Hagia Sophia – Lord decreed
Nations and kings shall stop here!
Truly your cupola hangs, in the words of a witness,
As if by a chain from the heaven.


And for the ages, Justinian’s example:
When Diana of Ephesus allowed
One hundred and seven green marble pillars
To be plundered for foreign gods.


But what was your generous maker thinking,
When, in soul and concept high,
He arranged apses and exedrae,
Directing them West and East?


Beautiful temple, bathed in the world,
And forty windows – a triumph of light;
On the spandrels, beneath the cupola, four
Archangels – most beautiful of all.


And the wise, spherical building
Will outlast nations and ages,
And the seraphims’ resonant sobs
Won’t warp dark gilt.


OSsip Mandelstam, (translated by Kevin Platt and Charles Bernstein)



Hagia Sophia : le Seigneur a enjoint
Que les peuples et rois aillent vers elle !
Comme par une chaîne, selon un témoin,
Sa coupole fut suspendue au ciel.

Que Justinien soit exemple à jamais :
Alors, Diane d’Éphèse laissa faire
Et pour le culte de dieux étrangers
Se fit voler cent sept piliers de marbre vert.

Ton bâtisseur qu’avait-il donc en tête
Lorsque, suivant son cœur et son esprit puissant,
Il disposa absides et exèdres
En leur montrant l’Orient et l’Occident ?

Baigne dans la paix, temple sans égal,
Triomphe de lumière en quarante fenêtres ;
Quatre archanges tendus comme des voiles
Sous la coupole, et plus beaux qu’aucun être…

Et le sphérique édifice, sage et divin,
Par delà peuples et siècles perdure,
Et les sanglots vibrants des séraphins
Ne froisseront jamais les sombres dorures.

Ossip Mandelstam, Pierre (traduit par Henri Abril)